Les chevaux de légende: acte 1

Septembre sonne comme une transition dans le monde hippique. À la fin des meetings estivaux et au début de l’arrière-saison, c’est l’heure des rentrées, des préparatoires, et ce aussi bien en plat qu’en obstacle. Certains partent, d’autres reviennent, et c’est un bal incessant chaque année. L’Arc de Triomphe est dans toutes les têtes et même si Ace Impact, prochain favori de la course, a déjà fait sa rentrée, ce n’est pas le cas pour tous. Les préparatoires ont été différentes pour tous, mais qui aurait pu imaginer un instant qu’un cheval arrêté un an, fasse sa rentrée le 8 septembre 2018 avant de remporter la course reine 29 jours plus tard ? Enable l’a fait. Un cheval resté invaincu en 14 sorties, capable de reproduire sa qualité au haras ? Frankel l’a fait. Un cheval perdre toute chance au départ d’un Groupe 1 avant de tracer une ligne droite jamais vu auparavant, dernier 400 mètres plus tôt, triompher au poteau ? Zarkava l’a fait. Une poulinière capable de reproduire deux fois avec le même étalon des cracks millionnaires en obstacle mais également des pouliches lauréates de Groupe ? Westonne l’a fait. Alors, pour vous, on a retracé ces chevaux qui sont exceptionnels, qui ont indéniablement marqué l’histoire des courses. Et ce mois-ci ce sera notre transition en attendant de vibrer pour de nouveaux exploits à raconter.

WESTONNE ET SES QUATRE FANTASTIQUES

Pour le premier épisode de la saga, c’est à une poulinière qu’est l’honneur.
À elle seule, elle comptabilise un nombre incalculable de courses de groupe, dont 4 Groupes 1, grâce à ses produits, pour 3 834 490 euros de gains. Westonne, sous l’entraînement de Guillaume Macaire, fut une bonne jument, gagnante pour ses débuts et vainqueur du Prix Fleuret Gr.III. Sa carrière de courses terminée après sa chute dans le Prix Maurice Gillois Gr.I, elle devient poulinière pour son année de 4 ans, où elle se révélera excellente, saillie par 3 étalons différents sur les 4 rejetons qui ont brillé.
Chose peu commune, son association avec Poliglote a même fonctionné à deux reprises, coup sur coup même, puisque So French et Device sont de véritables frères.

Westonne en action sur les haies


Westonne aura produit 6 poulains, dont 4 chevaux avec une “vraie” carrière de courses en gagnant les plus belles épreuves. Une chance pour toute la chaîne, de l’éleveur Benoît Gabeur à l’entraîneur, en passant par la propriétaire, puisqu’ils appartiennent tous à la casaque bleue toque rouge de Magalen Bryant.

Son premier produit, So French, gagnera le Prix Maurice Gillois, le Grand Steeple-Chase des 4 ans à Auteuil Gr.I, lui qui a débuté un an plus tôt en plat à Pompadour avant d’enlever le Prix Finot à la fin de l’été 2014, une course de Listed pour débutants sur les haies.
À 5 ans, il fait sa rentrée dans la première préparatoire au Grand Steeple-Chase de Paris, le Prix Robert de Clermont-Tonnerre Gr.III. S’ensuivra une deuxième place dans le Prix Murat Gr.II, préparatoire également pour le Grand Steeple, derrière son regretté compagnon d’entraînement As d’Estruval accidenté dans la course reine. Cette année-là, il remporte le Grand Steeple avant de réaliser l’année suivante le doublé dans le Grand Steeple-Chase de Paris Gr.I pour l’entraînement de Guillaume Macaire, qui entraînera toute la famille d’ailleurs, et la casaque de Magalen Bryant !
Il se tuera malheureusement dans le Grand Steeple-Chase de Bordeaux à l’âge de 10 ans.

So French au saut du Rail Ditch and Fence

Son deuxième rejeton, Device, sera vainqueur à 19 reprises en 32 sorties publiques. Lauréat de 3 Listed, 8 Groupes 3 et 2 Groupes 2, il devient le deuxième “millionnaire” de la famille après So French. Cheval au grand cœur, il ne parviendra pas à remporter de Groupe 1 tant mérité, mais sa lutte dans le Grand Prix d’Automne avec Alex de Larredya, le crack de François Nicolle, restera dans les mémoires pour tous ceux qui auront vécu ce moment en direct.
Il pourra également nourrir des regrets lorsqu’il chute à l’avant-dernière haie du Prix Renaud du Vivier Gr.I à l’automne 2016, alors bien en course et qui semblait parti pour disputer la victoire, après deux courses préparatoires remportées avec brio et s’élançant dans la belle en tant que grandissime favori. Son palmarès reste exceptionnel et son entourage peut remercier cet énorme talent qui aura enlevé 1 225 966 euros de gains.

Device en action

Leur sœur, Whetstone, fut plus que remarquable.
En seulement 13 sorties, toutes à Auteuil, le temple de l’obstacle, elle comptabilise 10 victoires et 3 places.
Agile, elle était capable de sauts acrobatiques, “retaper” juste devant un obstacle, sans jamais se trouver en difficulté à sa réception. Elle alignera 9 victoires d’affilée entre 2017 et 2018, passant des haies au steeple. À chaque fois battue par des chevaux différents, sa carrière fut courte mais intense; lauréate à 3 reprises de Listed, elle a surtout remporté 5 courses de Groupe, dont un Groupe 1, le Prix Ferdinand Dufaure, l’objectif ultime pour son entourage, avant de lui apprendre son nouveau métier de poulinière.
Au haras, elle a produit 3 poulains; le premier est en âge de courir, et c’est le tandem H.de Lageneste et G.Macaire qui en a la charge.
Sa façon de faire, sa facilité et sa qualité laisseront une trace dans les courses d’obstacle. C’est aussi la 3e plus riche de la famille, avec plus d’un demi-million de gains, la première femelle, pour celle qui aura eu la carrière la plus courte des 4 phénomènes.

Whetstone à la réception (acrobatique) du Gros Open Ditch

Enfin, Want Of A Nail, la petite dernière, a également pris du caractère gras.
Lauréate à Auteuil, elle est vainqueur de Groupe et compte 7 victoires et 13 places en 21 sorties. Associée à Nathalie Desoutter à partir de la deuxième partie de la saison 2020, le duo 100% féminin va continuer sa lancée et compléter le travail effectué par Felix de Giles auparavant, un choix de l’écurie assez rare pour le souligner. Avec Nathalie, ce sera 4 victoires et 5 places pour une cinquième place et malheureusement une chute pour terminer cette carrière exemplaire. Comme le reste de la famille (ou presque), elle brillera sur le steeple comme sur les haies et fera honneur à ses frères et sœurs, ainsi qu’à sa mère, de par ses résultats en course que n’importe quel entourage aurait rêvé d’avoir.

La belle Want Of A Nail

Pour les deux autres, Makewish et West Kap seront un ton en dessous.
La première citée compte trois sorties, dont une 4e place au mieux en débutant sur les haies de Pau. La seconde comptabilisera 71 700 € de gains et 3 victoires en 10 sorties, gagnante sur les haies et le steeple.

ZARKAVA POUR L’HISTOIRE

“ZARKAVA, vous aviez rendez-vous avec l’histoire. Zarkava, ce rendez-vous, vous ne l’avez pas manqué. FORMIDABLE, Zarkava.”
C’est avec ces mots que Stéphane Costes, crème de la crème des commentateurs hippiques, a félicité Zarkava pour sa victoire dans le Prix de l’Arc de Triomphe.

On continue donc en plat, avec une femelle invaincue, une légende française: ZARKAVA.
Sous l’élevage et la propriété de Son Altesse l’Aga Khan, Zarkava voit le jour en Irlande, fille de Zamindar et Zarkasha.
Avec de belles origines, un père gagnant de Groupes en France et un grand-père gagnant de Groupe 1 en Grande-Bretagne, Zarkava a de qui tenir. On retrouve même dans la 4e génération Secretariat, crack étalon américain.
Toujours est-il que Zarkava compte bien se faire un nom !
Entraînée par Alain de Royer Dupré et montée par Christophe Soumillon, le trio va faire parler de lui à 7 reprises.
Sa carrière commence le 09 septembre 2007, dans le Prix de la Cascade, une course pour débutantes sur le mile à Longchamp qu’elle remporte par deux longueurs. Un mois après, elle enlève le Prix Marcel Boussac Gr.I, sur le même hippodrome avec 2,5 longueurs d’avance.
Une étoile est née.
C’est au mois d’avril 2008 qu’on retrouve Zarkava dans un Gr.III, le Prix de la Grotte, où elle réitère sa performance de fin d’année : même cheval à la deuxième place, même nombre de longueurs, même hippodrome, même distance. Puis elle enchaîne avec la Poule d’Essai des Pouliches, battant au passage la crack de Freddy Head, Goldikova, et le record de la course en 1’35″20.
À ce stade, il est l’heure de penser aux grandes joutes de l’automne et notamment le Prix de l’Arc de Triomphe, LA COURSE !
Pour cela, direction Chantilly pour le Prix de Diane (2100m) où Zarkava s’impose encore une fois, par 3 longueurs cette fois-ci.
Puis retour à Longchamp pour son coup d’essai sur 2400 mètres où elle réalise un exploit. Ayant pris un énorme retard au départ, elle se retrouve seule à quelques longueurs du peloton, obligée de produire son effort pour retrouver sa place. Mieux que cela, à l’entrée de la ligne droite, elle s’annonce et en quelques foulées traverse le peloton pour venir s’imposer par deux longueurs.
Elle égalera le record de la piste. Favorite du Prix de l’Arc de Triomphe, elle remporte le plus prestigieux des Groupes 1 avec deux longueurs d’avance sur son dauphin.
7 courses, 7 victoires, 6 courses de Groupe et 5 Groupes 1 dont 4 d’affilée.
Une reine des courses.

Zarkava et Christophe Soumillon après leur sacre dans le Prix de l’Arc de Triomphe


Elle entre au haras avec les titres de “meilleure pouliche de 3 ans” et “cheval de l’année”.
Au haras, elle produira Zarak (aujourd’hui étalon), lauréat de Groupe 1. En plus de faire briller les couleurs de la casaque verte à épaulette rouge, elle participe grâce à l’élevage à la continuité de cette casaque.
Le rêve de tout propriétaire-éleveur.

LE CHEVAL DU XXe SIÈCLE

S’il fallait une description du cheval parfait, Frankel ferait forcément partie des exemples.
Son palmarès hors normes affole les compteurs. Il a réussi, en multipliant par deux, ce qu’a réussi à faire Zarkava: 14 victoires en 14 sorties.
Vainqueur de Groupe 1 de 1400 à 2000 mètres. 10 fois vainqueur de Groupe 1 de 2 à 4 ans, dont 9 d’affilée entre 3 et 4 ans. Près de 3 millions de livres sterling remportées et plus de 15 millions d’euros grâce à ses rejetons, lui qui a fait pas moins de 610 poulains, représentant une moyenne de pratiquement 25 000 € de gains par cheval !
Considéré comme le meilleur cheval de l’histoire, les statistiques sont affolantes, mais ses performances le sont tout autant. Regarder Frankel courir revient à regarder un rouleau compresseur en action. Dans tous les terrains, sur des distances différentes, il emmène à sa vitesse, capable d’être monté avec n’importe quelle tactique. Au final, le dernier à enrouler son grand geste sans difficulté, c’est lui. Là où les autres poussent et tapent, lui est déjà loin devant, emmenant son jockey au canter. Une impression de décontraction déconcertante. Sous l’entraînement de Sir Henry Cecil et propriété de Khalid Abdullah, il reçoit les distinctions de cheval de l’année 2011 et 2012 en Europe, et reçoit en 2021 le Hall Of Fame des courses britanniques.

Frankel aussi beau que bon


Comme en course, il se révélera exceptionnel au haras, tête de liste des étalons en Angleterre et en Irlande en 2021 mais également en France en 2022. Ce fils de Galileo (triple vainqueur de Groupe 1, reproducteur incroyable avec 382 millions d’euros engagés sur ses yearlings aux ventes et étalon le plus cher du monde avec un prix de saillie estimé à 600 000 € minimum) produira entre autres Inspiral, la dernière lauréate du Prix Jacques Le Marois Gr.I, Cracksman, quadruple vainqueur de Groupe 1 dont le Prix Ganay, et Alpinista, la dernière lauréate du Prix de l’Arc de Triomphe Gr.I.
Il recevra au cours de sa carrière de course un rating de 147 par Timeform, ce qui en fait le cheval ayant reçu le plus haut rating, lui qui est considéré comme le meilleur cheval du XXe siècle.

LA REINE ENABLE

“La reine était touchée, la reine était blessée, la reine remporte ici l’Arc de Triomphe.” C’est par ces mots que le même Stéphane Costes a qualifié Enable lors de son deuxième sacre dans le Prix de l’Arc de Triomphe.

Enable

Pour l’histoire, pour la beauté du sport, pour le challenge, Enable a été l’une des rares femelles à rester à l’entraînement jusqu’à 6 ans, son entourage visant un triplé dans le Prix de l’Arc de Triomphe. Deux fois lauréate, battue par Waldgeist lors de son troisième essai, elle s’est malheureusement classée 6e lors de son ultime tentative.
Enable c’est un palmarès impressionnant; 15 victoires en 19 sorties dont 11 Groupes 1 remportés de 3 à 6 ans. Fille de Nathaniel, elle gagne pour ses débuts sur l’hippodrome de Newcastle, avant de se classer troisième pour sa deuxième course puis d’enchaîner 12 victoires d’affilée dont 10 Groupes 1…
Elle sera invaincue lors de l’année 2018 où elle aura couru à seulement trois reprises victime d’un contretemps et un repos forcé de pratiquement un an, après son année de 3 ans.
En véritable guerrière, elle reviendra, tout d’abord en gagnant au mois de septembre, sur le sable de Kempton, dans un Groupe 3 à 4 partants, en guise de préparation pour l’Arc qu’elle remportera par la suite. C’est lors de ce sacre, du bout du nez pratiquement, devant une regrettée Sea of Class, que Stéphane Costes prononcera ses mots élogieux.
Après cet exploit, John Gosden décidera d’aller tenter sa chance un mois plus tard aux États-Unis dans la Breeder’s Cup, troisième et dernière course de l’année. Elle remporte ainsi la Breeder’s Cup devant une Magical déterminée à prendre une revanche. Toutes deux traceront une ligne droite de toute beauté mais comme bien souvent c’est Enable qui triomphe. Un véritable exploit, à l’image de sa carrière !


Enable aura fait vibrer les cœurs, elle qui saura même faire signe de la tête à son public en guise de tournée d’adieu. Sa sixième place dans l’Arc restera anecdotique tant sa carrière, remplie de hauts, aura fait pleurer les amoureux des courses dans cette histoire riche de 5 années, fait extrêmement rare à ce niveau.

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